Plus spatiale et complète que les précédentes versions, le projet Eïnaqoé a trouvé sa formule finale en alliant recherche in situ et recomposition artistique.

Trois modules interactifs, disposés dans les 100m² de l’espace d’exposition de la Galerie Méraki (Paris 11ème arr.), balisèrent un parcours sonore inédit, remettant en scène 4 modalités d’écoute possibles dans l’espace urbain de Popincourt.

Le premier module interactif, massif et pyramidal, incorporait des dizaines d’échantillons sonores et visuels représentants l’église St-Ambroise. Dans une mise en scène interactive et psychédélique, le public de l’installation fût invité à créer, par l’intermédiaire de ses propres gestes et déplacements dans l’espace, une nouvelle composition narrative lui permettant de remettre en scène et de redécouvrir ce lieu communautaire sacré. Cette première zone ludique fut pensée comme un moyen de symboliser dans un nouvel univers, sur base de nouveaux matériaux expressifs et esthétiques, un des monuments centraux du quartier.

Le second module interactif, disposant cette fois de 6 lasers – comme autant de zones de contacts entre la machine et la personne qui lui fait face-, illustrait deux modalités bien particulières de l’écoute dans les espaces publics. Ces modalités techniques et attentionnelles de l’écoute présentant, dans le cadre de cette expérience de découverte interactive, des situations d’audition « opposées » entre-elles : une écoute macrophonique et microphonique (comme, dans le cas de la vision, avec un macroscope et un microscope). Dans un premier temps, le public fit face à des situations d’audition globale, mettant acoustiquement en scène des espaces publics au travers desquels les auditeurs purent circuler d’un point d’écoute à un autre. En sélectionnant dans un premier set de trois lasers une position spécifique, l’occasion leur était donnée de décomposer le spectre acoustique global depuis des points d’audition particuliers. Une fois ce temps d’expérimentation passé, un nouveau set de trois lasers les emportèrent dans une dimension micro face à un « objet » sonore singulier : le carillon de l’église St-Ambroise. Les trois nouveaux lasers leur donnèrent alors accès à des paramètres raffinés de modulation acoustique, leur permettant de se représenter les possibilités actuelles d’intervention sur le sonore dans un contexte technique et numérique.

Le dernier module fut dédié à la vocalité, dimension hyper-présente d’un quartier connu pour ses espaces de convivialité, de rencontres et d’amusement collectif. Les nombreuses voix que notre équipe est allé récolter illustraient l’histoire urbanistique et politique du quartier Popincourt : comme celle de l'âge oublié de l'atelier Méraki qui abritait les presses clandestines des journaux résistant de la seconde guerre mondiale. Par l’usage de récits sur les anecdotes militantes et les transformations architecturales qui animèrent le quartier pendant et au sortir de la seconde guerre mondiale. Pour accéder à la clarté de ces récits, une nouvelle modalité de l’écoute dans les espaces publics fut techniquement mis-en-place par notre collectif. À une distance de plus d’un mètre, les discours apparaissaient tels des brouillards sonores, comme lorsque l’on se situe à une trop grande distance d’un interlocuteur dans l’espace sonore d’une foule. En se rapprochant du dernier module vocal, de préférence coordonnés à plusieurs afin de couper en même temps et au même niveau les trois lignes lasers du module, le public augmentait la précision perceptive des discours récités. Dans cette configuration, le public « tend l’oreille » au plus proche du module pour faire émerger l’intelligibilité du discours.

Ce dispositif, constitué de trois pôles différenciés, fut intégré dans une scénographie globale et avait pour horizon de croiser les objectifs du festival Vis-à-Vis et ceux de notre collectif lui-même, à savoir : au travers d’une installation interactive mettant en valeur le sonore et interrogeant les modalités perceptives de l’écoute, permettre une mise-en-scène originale de la vie de quartier et inciter les personnes à une nouvelle approche des arts contemporains tout en suscitant des rencontres interpersonnelles en provoquant des situations de collaboration mutuelle et collective.