Une pièce plongée dans une scénographie toute particulière. Sur chaque pan de mur, diverses sculptures, variant entre formes tourbillonnantes, aériennes, ou rectangle massif, conjuguant volume brancousien ou forme abstraites. Chacune est éclairée par un faisceau. Tableau mis à disposition de la déambulation du spectateur, ce dernier est tout aussi bien confronté à un mouvement lent qu’à la force statique de la matière ancrée dans le mur.

La lumière colorée projetée dans la pièce donne une nouvelle forme aux matières sculpturales, oscillant en fonction des ondes sinusoïdales, des haut-parleurs et des fréquences dispersées dans le lieu d’exposition. Pourtant, ce n’est en aucun cas une réflexion dédiée uniquement à la forme et la matière plastique que nous donne à réfléchir la Dream House, œuvre pluridisciplinaire réalisée par le compositeur américain La Monte Young et son épouse plasticienne Marian Zazeelan en 1975.

Ici, la scénographie, dont les couleurs utilisées par la plasticienne américaine sont non sans rappeler les teintes du mouvement de l’Op Art, est au service d’une réflexion dédiée à la matière sonore. Plongé dans un environnement dépouillé, le spectateur est poussé à réfléchir sur son mode d’écoute. Il peut adopter toute sorte de postures, régissant ainsi son parti pris musical et sonore, face à un mur vide, assis, en repos, suivant le mouvement des arcs de cercle, des sculptures ou bien même des autres auditeurs. La composition sonore devient radicale et minutieuse. Les deux ondes projetées dans l’espace sont en effet conçues comme rigoureusement fixes et accordées selon le principe de « l’intonation juste ». Aucun battement n’est alors perceptible. Il s’agit en réalité du phénomène des ondes dites « stationnaires ». La Dream House peut ainsi totalement déployer sa force sonore dans un lieu clos. Les aigus supplantent les graves et inversement au cours du déplacement de l’auditeur.

Il s’agit d’écouter d’une façon continue deux ondes électroniques sinusoïdales rigoureusement fixes, accordées sur le principe de l’intonation juste.

Ce système d’ondes, appelées la Drift Study, fut imaginé dans les années 1960 par le compositeur La Monte Young et aboutit rapidement à une essai coécrit avec sa femme : Sound and Light.

La Dream House intervient ainsi au terme d’une longue évolution esthétique et musicale chez le compositeur américain, considéré comme l’un des pionniers du mouvement minimaliste et expérimental en musique contemporaine.

Elevé dans une famille mormone, il découvre très tôt le swing et la musique populaire des grandes plaines de l’Idaho. Son arrivée et la découverte du cool jazz à Los Angeles au début des années 1940 marquera sa pratique musicale. Stan Getz, Charles Mingus ou encore Norman Granz constituent les toutes jeunes figures de cette nouvelle scène musicale de la capitale californienne, plus connue sous le nom West Coast Jazz et qui vie alors le début de son age d’or. Le jazz et l’improvisation tiendront tous deux une place majeure dans l’ensemble de la carrière de La Monte Young. C’est en effet vers ce genre qu’il tentera de renouer en 1961 en revisitant John Coltrane puis en formant quelques années plus tard The Theater of Eternal Music.

Deux nouveaux registres vont alors se mêler à aux big bands et à l’improvisation du cool jazz; la musique indienne et son bourdon ainsi que diverses oeuvres majoritairement atonales (ou mouvement sériel) issues du répertoire classique, que l’on retrouve notamment dans les créations de Webern et Schoenberg. Ainsi, pour clairement comprendre le sens des Drift Study, il faut remonter aux influences de la Monte Young et se pencher notamment sur sa pièce Trio for Strings écrite 1958 et considérée comme l’une de ses oeuvres principales.

Un an plus tard, c’est à la célèbre école du Darmstadt qu’il s’ouvrira à la musique contemporaine aux côtés de Stockhausen et découvrira l’œuvre de John Cage. Le tournant vers l’art conceptuel est véritablement enclenché dans son travail de composition dés ce séjour en Europe et ne fera que se poursuivre avec l’avant garde new yorkaise. Si la collaboration avec le mouvement Fluxus se réduit uniquement à une pièce (Composition 1965 dollar 50) , il se détachera très rapidement de George Maciunas pour se concentrer sur une autre démarche esthétique : le dépouillement le plus pure afin d’advenir à une réelle compréhension et appréhension de la matière sonore. Sa réflexion se nourrira, entre autre, de sa collaboration avec Henry Flynt, philosophe, artiste et activiste.

L’idée de dépouillement dans l’œuvre se retrouve tout au long du travail de composition chez La Monte Young. Le matériau devient concept même. Il faut donc véritablement comprendre cette évolution et les diverses découvertes réalisées par le compositeur californien pour comprendre pleinement la valeur des premières Drift Study. C’est en 1970 que va prendre véritablement forme la Dream House, qualifiée « d’expérience tendant à l’élévation statique de l’auditeur » par Flynt, lorsque l’une des Drift Study est présentée en lien avec le light show de Marian Zazeelan, Ornemental Lightyears Tracery au Moderna Museet de Stockholm.

Par Camille Drouet.