Parmi les collaborations inédites de l'année 2021, celle menée avec l'organisme Les Ailes Déployées (LAD), dont le réseau d'établissement prend en charge, en Île-de-France, les publics sujets à différents troubles mentaux et de la personnalité. Une expérience riche de sens pour Ascidiacea, tant quant au processus d'élaboration de la collaboration artistique, à la réalisation des modules créatifs qu'aux finalités socio-culturelles qui en débouchent.

Dans la prise en charge quotidienne des personnes souffrants de troubles mentaux, la régularité des protocoles de soins, la stabilité des environnements de la prise en charge sont parmi les éléments primordiaux qui président à la construction d'une confiance et d'un cheminement thérapeutique constructif. Ce sont également des éléments qui définissent la construction institutionnelle de la relation entre le professionnel et le patient. Cela étant dit, c'est au travers de sa cellule inter-professionnelle et de médiation que l'antenne parisienne du LAD à avancé l'idée d'une collaboration avec des agents externes, artistes, nous... dont le lien nous provient directement du monde festivalier. Si cette initiative est l'exception qui confirme la règle du fonctionnement de tels centres médico-sociaux, pour Ascidiacea, ce fut également une première en matière d'implication sociale et de transfert de savoirs-faire dans de telles conditions.

Les premières avancées avec l'équipe du LAD sont à la fois marquée par un enthousiasme vivant et d'une appréhension particulière. Effectivement, le collectif est marqué dans son image (et dans sa communication) par l'esthétique expérimentale et festive qu'il défend depuis 5 ans. La recherche des points de contacts entre les ambitions d'émancipation par la pratique artistique du LAD et les modes d'action et de création de notre groupe n'est pas a priori un chemin pavé d'évidences. Melissa, notre première interlocutrice et instigatrice de la collaboration (travaillant pour le festival Coucool et le LAD), à néanmoins une intuition claire : les créations d'Ascidiacea usent d'un langage médiatique accessible, basé sur l'expérience sensible, et se déploient dans des imaginaires actuels, où les jeunes pourront se retrouver, jouant sur des représentations où s'entremêlent mythe et réalité, science et poésie, storytelling et appréhension des matières. On remarque par là-même occasion que nos créations fertilisent parfois les esprits au-delà de nos propres attentes. Mais néanmoins, des lignes interdites balisent ces premiers pas : no laser, no stroboscope, pas d'expériences sur le double-numérique, sur le corps, pas d'auto-représentation trop photo-figurative des personnes... tout ça, en matière de sécurité physique ou mentale, mais également d'éthique médicale, risquerait d'être intenable.

Une première ébauche de narratif émerge dans la construction du projet, alors que de plus en plus de praticiens du centre s'y associent : psychothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens, animateurs socio-culturels. On en apprend également un peu plus sur le public du centre : en majeure partie, les bénéficiaires sont de jeunes femmes, adolescentes, d'un milieu socio-culturel favorisé, présentant des troubles de la personnalité, psychotiques ou de l'humeur. C'est par l'adaptation de figures mythiques autour d'un premier récit - La caverne des Nymphes - que l'initiative se structure progressivement.

La nymphe est un symbole féminin de la métamorphose, une figure fantastique et romantique qui associe le pouvoir et la fragilité, la magie et la force du vivant. C'est également un stade biologique du développement de la vie, un espace intermédiaire entre deux états. La caverne elle, si le terme peut facilement ramener à l'allégorie de la révélation platonicienne, tend à suggérer que notre travail commun, à l'image de "l'espace ados" du LAD, vise à construire un espace privatif, faisant largement écho à l'intériorité des personnes, tout en s'ouvrant par quelques puits d'air et de lumière à l'environnement extérieur : un volume sécurisant, pas immédiatement ou complètement ouvert, dans lequel se reflèteraient nos ombres et nos lueurs.  

A ce stade, en dialogue permanent avec les équipes artistiques et thérapeutiques, ce mode de projection narrative permit d'organiser un ensemble de facteurs nécessaires à la définition d'une méthodologie et d'un ensemble de finalités portées par le groupe. Un cadre narratif commun, des rôles imaginaires et souples construits au moyen d'une dialectique entre le mythe et l'actualité, mais également une structure interprétative qui fond ensemble le rapport à l'image de soi et à son évolution, à l'environnement matériel et symbolique.

La caverne des Nymphes s'organise en 3 types d'ateliers de création : sonores, visuels et photographiques, scénographique et plastique. 3 des mediums et champs de créations dans lesquels différents membres d'Ascidiacea sont eux-mêmes expérimentés, comme créateurs et pédagogues. Ces ateliers accueillent des groupes d'environ 10 personnes, sans que ceux-ci n'empêchent une personne de s'inclure dans plusieurs groupes, chacun étant mené 6 fois, chaque semaine, avec la possibilité également de réunir à différents moments 2 ateliers lors d'une séance commune. Enfin, la caverne des nymphes est également pensé comme l'exposition en tant que telle qui suivra la réalisation des oeuvres au travers des ateliers. Un programme complet de 8 semaines mis en oeuvre par Ascidiacea, et soutenu par Lenaïc Pujol (arts visuels), Margot Caperan (arts plastiques), Thomas Aguettaz (arts sonores).

Le processus d'échange ayant permis la formulation de la méthodologie de création, du calendrier de réalisation et des finalités artistiques et sociales fut mené en concertation exclusive avec les coordinateurs et thérapeutes du centre. Il souffrait encore d'un manque de réalisme, mais nous avait permis d'explorer le champ des possibilités esthétiques, médiatiques et d'interaction sociale, dans le cadre d'une telle institution, avec les soignants, avec leur administration, et avec "l'image clinique" des patients. Une fois en situation, les artistes devant leurs jeunes interlocutrices (pas exclusivement des femmes, mais principalement), ces premiers jalons furent largement déplacés, au bénéfice d'une fonction non moins primordiale du processus, la participation active des personnes engagé.e.s.

Les ambitions trouvèrent de nouveaux corps, les esprits de nouvelles idées, portées ou non par les prémisses narratives. La volonté de maitriser une série d'ateliers créatifs se transforma, suivant l'engouement des jeunes, en une nouvelle opportunité collaborative, bien plus expérimentale et ouverte qu'escomptée, notamment par les équipes du LAD. Le récit de la caverne des nymphes n'était alors plus la carte, le script attendu d'une réalisation, mais un simple guide, à l'utilité éventuelle, qui s'effaçait d'autant plus facilement qu'abondaient les initiatives et que les savoirs et savoir-faire de chacun s'entremêlent au sein des espaces d'ateliers.

Durant les séances, les lieux - le LAD est un immeuble avec de nombreuses petites salles polyvalentes, différemment équipées - étaient à la fois dénudés et réappropriés. C'est l'espace du chantier qui se révélait être un volume actif, tant sur les personnes que sur le projet en lui-même, et non plus sa feuille de route. Dans l'exercice de sa préparation et de son administration, le projet s'était en fait fondu en une expérience à 2 dimensions, dont l'exercice concrets auprès des jeunes  en avait ajouté une 3ème, que chacun éprouvait alors avec plaisir, étonnement, voire même avec déroutement, car enfin le public qui s'y formait n'était plus tout à fait celui qui y avait été attendu, et anticipé. La métamorphose, c'est au projet lui-même qu'elle s'est appliquée, aux équipes pédagogiques et à leurs attentes, aux lieux autant qu'aux jeunes.

Cette expérience conjointe dont la trajectoire, de bout en bout, nous mène de la fête à la clinique (ouverte) et qui tournoie sans cesse autour d'un faire société, à l'équilibre depuis ses bords, ses marges, fut une première pour l'ensemble des participant.e.s et parties prenantes. Une expérience qui, sans doute, sera amenée à se répéter. Ascidiacea souhaite à nouveau remercier le LAD et Coucool, et particulièrement Asma et Melissa, pour leur engagement et leur persévérance dans l'intuition des bénéfices communs d'un tel projet. Nous remercions également chaleureusement les jeunes ayant participé, avec engouement et beaucoup de personnalité aux ateliers, nourrissant les échanges, enrichissant les idées créatives, dépassant nos attentes et qui nous ont permis, à leurs côtés, d'évoluer dans une réflexion collective sur l'engagement socio-culturel, la participation artistique et citoyenne, le rapport aux institutions medico-sociale au sein de notre association.

crédit vidéo : Nils Cresson & Edouard Heinz
plus d'infos sur l'espace ados du LAD : https://www.lad.fr/unite/espace-ados